Hantoine-Corvus

Aux remords des dentelles

Vendredi 7 décembre 2012 à 0:10

   Dans les toilettes des lycées il y' a moins de merdes que dans les salles de cours. Et puis régulièrement tout est nettoyé aux produits chimiques. Il parait que je ne suis pas propre alors moi aussi je m'asperge avec ces produits, vu que contrairement aux chiottes, personne ne le fait pour moi.C'est ce qu'il me faut, une bonne douche. Je craque une allumette et c'est parti pour le grand nettoyage.Les lycées catholiques vantent le martyr, je ne devrait donc pas être hors-sujet et je vise même la note maximale. Je commence a courir en sortant des latrines, je crie. Les torches humaines sont rarement novatrices.
   Comble du raffinement, une douce musique a deux tons vient sublimer ma course folle. Cette alarme wagnérienne a pour effets de faire sortir tous les élèves.Ils s'alignent d'eux même dans la cours, bien ordonnés; et pourront ainsi profiter de mon arrivée triomphale. J'ai deux étages a descendre je ne dois pas traîner. Je vois certains de mes camarades a travers des vitres,ils ont entendu la musique mais sont a la traine. Ils ont vraiment l'air étonné de me voir comme ça. Ils font une de ces têtes ! Ils feraient mieux de se dépêcher ou ils vont tout rater. Parmi ces regards croisés, je bloque un instant sur cette femme. Je l'aime bien, pour une prof. Son air est interrogatif, mais rhétorique car elle le savait, que j'en avait marre. Mine de rien ca m'a un peu déstabilisé car je dégringole maintenant ces marches comme un pantin.Ca c'est de la cascade ! Etonnement je me relève, je ne dois pas être assez propre.
   Les portes qui étaient si lourdes d'habitudes, celles que je poussais traditionnellement chaque matins de tout mon poids l'épaule gauche en avant, volent en éclats. J'arrive. Dehors les petits de sixièmes, les branleurs de terminales avec leurs salopes en pendentifs, les enseignants, les pions, et même le principal sont bien triés, en rang, suivant des marques sur le sol. Je suis déjà bien nettoyé et je me force pour ne pas ralentir, je ne peux pas décevoir mon public.C'est en trombe que je débarque au milieu de tous. Je ne les regarde pas. De toute façon je ne verrai rien. Ils ont l'air tellement ahuris que je décide de les éclairer un peu. Dans tous les sens du terme. Je me résigne alors a un discours, concis mais clair : J'en est marre !
   Mes genoux touchent le sol, le temps d'une pose. Puis je m'étale sur le flanc. Bruler en courant ça va, mais a l'arrêt ... le vent m'attise et me fait crépiter. Je sais bien que je suis presque entièrement lavé mais je m'impose un dernier effort ; un dernier regard, je veux contempler une dernière fois ces gens. Je me concentre pour faire le point car mes yeux sont presque fondus.
   Pas elle ! Pourquoi est ce que c'est elle que je vois ? Cette fille là ! Des centaines d'élèves et je tombe sur elle ? Le hasard me joue des tours mais j'en profite pour la regarder une dernière fois. Avec ces cheveux étudiés, ses tissus bruts, son cul, cet air de gratuité et son dédain qui ma toujours rassuré; et son prénom. C'est la seule a me regarder normalement. Pas comme les autres connards et leur tête de dingues qui semblent choqués, comme s'ils n'avaient jamais vu un mec se nettoyer. Elle, elle a toujours ce mépris du regard qui n'a jamais trahit rien d'autre qu'une pure honnêteté. Elle ose même osciller la tête légèrement de gauche a droite. Enfin un peu d'humanité. J'aurai du la laver avec moi, c'est la seule qui mérite.Je lui susurre, en faisant bien attention qu'elle n'entende rien : "Pardon, mais j'en est marre". Je suis tout propre.


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Texte : Hantoine Corvus
Photo : Julian Germain


Vendredi 7 décembre 2012 à 0:01

 Le truc de Jimmy, c'était les trajets. Personne n'attend rien de vous lorsque vous êtes en route. Ces petits moments de déresponsabilisation, combinés aux drogues douces absorbées il y a deux heures juste avant de dormir, créaient une certaine urbanité dont Jimmy se délectait. Les petits matins français devenaient des aubes aux allures asiatiques; et les trains de campagne, de ces métros qui font défiler la vie par leur fenêtres. Peut être a Shanghai ou Tokyo. Face a de si dociles impressions, Jimmy se sentait bien. Il avait la tête haute et les yeux de celui qui regarde le  plus loin possible.
      « Il est des matins, a la netteté de contours si parfaite, qu'elle en devient remarquable », pensait il en inspirant fortement la fumée de sa clope dans ses poumons. Il s'étonna de sa réflexion en l'expirant, jeta sa cigarette et monta dans le train. Il s'assit a la place qui lui sembler due: entre les wagons. C'est dans ces compartiments réservé aux vélos, aux chiens et a ceux qui restent a 90 degrés des autres, que Jimmy trouvait la tranquillité nécessaire pour prolonger encore un peu son état de grâce matinal quotidien.
      Il était étonnant pour lui que personne ne lui tienne jamais compagnie dans le train. Il aimait
pourtant les mêmes merdes que les autres; il fumait le même shit, mangeait les mêmes morts et bandait sur les même filles. Jimmy n'était pas encore très vieux mais avait cependant perdu l'habitude d'être parmi les plus jeunes. La bipolarité de son age mental,  qui jongle entre 8 et 68 ans nous oblige a nous référer a son age civil , beaucoup plus stable. Jimmy a 21 ans. Le poète aurait dit de lui qu'il incarne la forme la plus banale de l'originalité, je préférerai son contraire. Jimmy est la forme la plus originale de la banalité. Le train ralentit.
      Si le simple fait de prendre le train était un ravissement pour le garçon, aujourd'hui ce n'était pas gratuit et Jimmy avait bel et bien une destination. Il lui faut traverser cette gare pour rentrer dans un autre moyen de locomotion, le bus. Mis a part les chiens policiers a ne pas réveiller et les clochards a enjamber ce fut une tache plutôt simple et Jimmy se retrouva a attendre le bus numéro 10. De toutes les putains de ville de France, la sienne était la dernière a avoir ce genre d'autobus. Il s'agissait de trolleybus, mais plus personne n'utilisait ce mot. Ils ressemblait a de grosse auto-tamponneuses avec leur câble sur le toit relié a un fil électrique.
      Si attendre un bus ou un train relève plus ou moins du même effort, leurs deux expériences étaient très différentes. La froideur mécanique des trains que Jimmy recherchait était a l'inverse de l'extrême intimité qui le ravissait dans les bus. Le matin quand les filles semblent sortir de la douche avec leurs cheveux encore humides et la peau qui embaume l'atmosphère d'un parfum cancérigène certes, mais tellement raffiné. Parfois certaines se brosse les cheveux ou glisse leurs mains sous leur vêtements pour remettre un soutien-gorge capricieux, enfilé trop vite. Délicieuses incursions ! Quand les odeurs des sécrétions corporelles diverses des vieux alcooliques du coins venaient se mêler a la fête, Jimmy stoppait ses divagations.
      Les arrêt défilent; le tribunal, l' hôpital psychiatrique, les lycées. Jimmy ne descendait pas. Il attendait une raison, sa bonne raison; ou juste sa raison. Celle ci ne se fit pas attendre et le jeune homme l'avait même anticipé en enroulant ses écouteurs autour de son MP3. Dehors il y avait du vent mais Jimmy aimait ca. Comme il savait ou il allait, pas besoin de se fier au panneaux qui arboraient le nom promis; et Jimmy était déjà devant les portes en verres. Elles s'ouvrent toutes seules ! Comme dans les grands magasins ! Tout commençait pour le mieux.

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Texte : Hantoine Corvus
Photo : Eric Bloch
 

     

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