Comble du raffinement, une douce musique a deux tons vient sublimer ma course folle. Cette alarme wagnérienne a pour effets de faire sortir tous les élèves.Ils s'alignent d'eux même dans la cours, bien ordonnés; et pourront ainsi profiter de mon arrivée triomphale. J'ai deux étages a descendre je ne dois pas traîner. Je vois certains de mes camarades a travers des vitres,ils ont entendu la musique mais sont a la traine. Ils ont vraiment l'air étonné de me voir comme ça. Ils font une de ces têtes ! Ils feraient mieux de se dépêcher ou ils vont tout rater. Parmi ces regards croisés, je bloque un instant sur cette femme. Je l'aime bien, pour une prof. Son air est interrogatif, mais rhétorique car elle le savait, que j'en avait marre. Mine de rien ca m'a un peu déstabilisé car je dégringole maintenant ces marches comme un pantin.Ca c'est de la cascade ! Etonnement je me relève, je ne dois pas être assez propre.
Les portes qui étaient si lourdes d'habitudes, celles que je poussais traditionnellement chaque matins de tout mon poids l'épaule gauche en avant, volent en éclats. J'arrive. Dehors les petits de sixièmes, les branleurs de terminales avec leurs salopes en pendentifs, les enseignants, les pions, et même le principal sont bien triés, en rang, suivant des marques sur le sol. Je suis déjà bien nettoyé et je me force pour ne pas ralentir, je ne peux pas décevoir mon public.C'est en trombe que je débarque au milieu de tous. Je ne les regarde pas. De toute façon je ne verrai rien. Ils ont l'air tellement ahuris que je décide de les éclairer un peu. Dans tous les sens du terme. Je me résigne alors a un discours, concis mais clair : J'en est marre !
Mes genoux touchent le sol, le temps d'une pose. Puis je m'étale sur le flanc. Bruler en courant ça va, mais a l'arrêt ... le vent m'attise et me fait crépiter. Je sais bien que je suis presque entièrement lavé mais je m'impose un dernier effort ; un dernier regard, je veux contempler une dernière fois ces gens. Je me concentre pour faire le point car mes yeux sont presque fondus.
Pas elle ! Pourquoi est ce que c'est elle que je vois ? Cette fille là ! Des centaines d'élèves et je tombe sur elle ? Le hasard me joue des tours mais j'en profite pour la regarder une dernière fois. Avec ces cheveux étudiés, ses tissus bruts, son cul, cet air de gratuité et son dédain qui ma toujours rassuré; et son prénom. C'est la seule a me regarder normalement. Pas comme les autres connards et leur tête de dingues qui semblent choqués, comme s'ils n'avaient jamais vu un mec se nettoyer. Elle, elle a toujours ce mépris du regard qui n'a jamais trahit rien d'autre qu'une pure honnêteté. Elle ose même osciller la tête légèrement de gauche a droite. Enfin un peu d'humanité. J'aurai du la laver avec moi, c'est la seule qui mérite.Je lui susurre, en faisant bien attention qu'elle n'entende rien : "Pardon, mais j'en est marre". Je suis tout propre.
Texte : Hantoine Corvus
Photo : Julian Germain